lundi 22 septembre 2014

Extrait du roman Sam

Salut. Moi c'est Sam. J'ai à peu près 10 ans... je crois.
Faut dire qu'on ne m'a jamais réellement souhaité mes anniversaires, et ma date de naissance, ben, personne n'est foutu de me la donner.
Je fais une estimation, au nombre de cicatrices que je porte. Comme un arbre portant les cercles de ses années. J'imagine une moyenne de cinquante bonnes raclées par an, quand j'arrive à me faire discret. Au vu des cinq cents et quelques marques de ceinturon, chaîne de vélo ou tronçonneuse, matraque, brûlures en tout genre... le compte doit être bon.
Je suis une plaie, pas que je sois insupportable, non, juste une immense plaie refermée, succession de maltraitances.
Je n'ai pas connu mon père. J'aurais tendance à dire tant mieux. Sinon la moyenne annuelle de châtiments corporels aurait franchi un autre cap... ou bien ne serais-je plus là.
Quand je dis que je n'ai pas connu mon géniteur, j'ai cependant approché des centaines d'hommes, tous à même de pouvoir prétendre au titre.
Car voyez-vous, ma mère, Clémentine, est une prostituée. Une de celles qui fournissent leurs services contre cinq à dix euros. Même pas de quoi être poli avec d'ailleurs.
C'est une pute. Dans tout ce que peut regrouper ce mot en terme d'image et de comportement.
Une pute parce qu'elle en a fait son métier. Pas qu'elle soit bien belle, ni même un peu sexy.
Enfin je sais pas, c'est ma mère en même temps, puis je suis jeune.
Mais imaginer faire des choses avec une femme dans son genre me foutrait des nausées, franchement.
Ça me paraît contre nature, comme se faire plaisir avec un animal, ou un truc comme ça. Brrrrr.
Elle leur suce les bourses ou les hémorroïdes pour quelques euros, en fonction de leurs «goûts»... euh, ne vous méprenez pas, comprenez bien par ce mot là «les préférences de ses clients», et non la saveur de la partie léchée.
Pour dix euros, elle leur fait la totale. Sans aucune protection la plupart du temps.
C'est bien comme ça qu'on est tous nés, mes frères et sœurs et moi même.
Aucun acte d'amour dans notre conception, n'y pensez surtout pas.
Entre deux caisses de harengs saur. D'une giclée de semence avariée dans cette sale truie.
Autant dire qu'elle est une illustration vivante des maladies vénériennes dans leur intégralité, une encyclopédie médicale à elle seule.
Elle qui n'a jamais dépassé la 6ème, pas mal non?
Elle en comporte certaines que je soupçonne même de n'avoir pas encore été étudiées ni découvertes.
Si chaque MST était sanctionnée d'un diplôme, ma vieille ferait passer Einstein pour un analphabète.
Je crois bien que si les militaires avaient vent de son existence, ils pourraient avoir des idées glauques quant à l'utilisation à faire d'elle, dans un pays en guerre.
Parachutée au bon endroit, elle ferait des ravages dans les rangs ennemis.
Clémentine... tu parles d'un joli nom doux et sucré pour cet affreux fruit aigre.
Mandarine aurait sûrement été mieux choisi, puisque aucun homme ne peut espérer la butiner sans récolter des pépins.
Elle n'en a sûrement plus pour très longtemps d'ailleurs.
Elle suinte par tous les orifices, a des chancres qui la rongent avec gourmandise, c'est franchement pas très beau à voir.
Mais ça n'a pas l'air de rebuter les hommes qui viennent la voir.
C'est pas cher donc on consomme. La vieille a compris ça. Elle pratique le Hard discount à outrance. Du cul à pas cher, Clémentine écrase les prix... mais faut pas chercher la qualité non plus. Elle étale ses attributs au rabais, sauf que là, c'est pas du made in china, y a que du local, production du terroir.
Elle est donc une pute. Une vraie. Avec nous aussi, et surtout.
Elle nous a toujours traités comme de la merde. Quoique j'ai jamais eu l'impression qu'elle en voulait à la merde.
Heureusement, la majorité de ma fratrie est née pourrie de maladies.
Heureusement je dis, car la mort est toujours préférable à ce qu'on vit ici.
Ils n'ont pas tenu bien longtemps. Ceux qui n'étaient pas mort-nés périssaient d'avoir à téter ces seins malsains, ce lait véhiculant, non pas une amorce de système immunitaire fort et sain, mais plus de germes et de bacilles que n'en pourraient supporter les plus solides charognards.
Je l'ai même vue se faire prendre avec un de mes frères accroché aux nibards. Il a fini par être expulsé par les coups de boutoir assénés à ma mère par ce gros porc bouffi, et s'est écrasé au sol comme un melon trop mûr.
Tant mieux pour lui. Il n'aura pas à vivre cette vie-là.
En dépit de tout ça, on est trois à avoir survécu quelques années.
Mon frère, Barney (moi je l'appelle néné) 9 ans à peu près... ben ouais, chez nous les années c'est toujours de l'à peu près. Il a les cheveux bruns, les yeux d'un étonnant violet et un sourire éternel, qui jamais ne le quitte. Même quand ça va mal... et ça va pas souvent bien.
Il a le sida, ne verra probablement pas sa dixième année, enfin, une année supplémentaire quoi. Il est gentil et volontaire, on fait ce qu'on peut ensemble pour s'en sortir. Dire qu'un garçon de 9 ans est gentil peut vous paraître superflu. Mais croyez-moi, rien ne prédestine qui que ce soit à la bonté lorsqu'on pousse dans notre milieu. C'est même un miracle, j'ose dire, néné est un ange envoyé du ciel pour éprouver sa nature. C'est mon ange.
Ma sœur Virginie, 7 ans. Vous savez ce que je vais dire... approximativement, bien sûr.
Elle a échappé aux maladies, comme moi. En dépit de l'immense cicatrice qui lui barre le visage, elle est super jolie, mignonne comme tout. Ses cheveux sont d'un très joli roux, et sa peau blanche comporte, sur un petit nez mutin, d'adorables taches de rousseur. Elle est craquante. Elle on se doute à peu près de qui doit être son père, la vieille a pas des milliards de clients roux. Même si depuis qu'il fréquente maman, ses taches de rousseurs ont disparu au profit de gros chancres.
On fait ce qu'on peut avec néné pour rapporter à manger à ninie. Pas facile, surtout que Barney commence à faiblir, je le sens bien.
Virginie, qu'on appelle ninie (je sais ninie, néné, j'ai pas été chercher très loin) , a bien failli mourir le jour où notre mère lui a flanqué un coup de pied de biche en pleine gueule. Parce qu'elle faisait trop de bruit et déconcentrait un client, un habitué qui la choyait. Il lui filait quinze euros de la passe, imaginez un peu la manne. Pretty woman était colère ce jour-là, son Richard Gere l'emmènerait pas faire les boutiques.
Ninie avait dans les trois ans à l'époque, et je crois que c'est la première fois de ma vie que j'ai pleuré autant.
J'en ai régulièrement pris ma part, plus souvent qu'à mon tour même. On s'endurcit à la longue. Mais voir ma petite Ninie dans cet état là, bon sang, ça m'a complètement bouleversé.
On s'en est occupé, avec mon ptit Barney. Lui ne se plaint jamais. Il souffre, physiquement et moralement, mais il garde tout pour lui. Ce sont d'ailleurs les seules choses qu'il ne partage pas. Toutes ses trouvailles en victuailles ou vêtements, il les répartit équitablement. Enfin, il en donne toujours plus à Ninie, parce que c'est sa ptite chérie. On l'aime notre Virginie.
On a réussi à la sauver, notre petite sœur. Punaise, on n'en était pas peu fiers.
Depuis, on travaille en équipe, pour survivre et manger. Pas la peine de compter sur la vieille radasse vérolée, elle ne nous donne jamais rien.
La seule chose dont elle ne soit pas avare, ce sont ses coups de sabot dans les mandibules, qu'elle nous dispense sans compter. Modération et parcimonie, ce ne sont pas des amies à ma mère.
Heureusement, on a une bonne combine avec Barney, un endroit où on trouve de quoi bouffer à foison. Mais faut faire attention. Et très vite.
Y a un supermarché, pas loin. Chaque jour, ils balancent des quintaux de nourriture. Indécent.
Ils ont un énorme broyeur dans l'arrière-cour, mais ne le lancent qu'une fois par jour, en début de soirée. Ils entassent tout dedans en attendant la fin de journée. Tout ce qui ne peut plus être vendu, mais que nous on peut manger... oh oui.
Y a des dates limites disent-ils, mais nous le seul chiffre qui nous intéresse, c'est combien de jours on peut rester sans bouffer.
On récupère des fruits et légumes à peu près frais, un peu abîmés, mais on s'en fout. Y a de la viande en pagaille, des fois elle est un peu bleue, pas grave. Y a même des plats préparés et tout. On se fait de bons gueuletons certains jours... quand on arrive à passer.
On se faufile avec Barney. C'est tout clôturé partout. Z'ont peur qu'on leur vole leurs déchets les enfoirés.
Si on se fait choper, ils nous passent à tabac sévère.
Une fois, ils ont failli nous tuer et nous balancer dans le broyeur.
C'est une femme qui a pris notre défense et les a empêchés de nous trucider.
On a ramassé quand même. Pas des aliments, mais une branlée carabinée.
Quand ils en ont fini avec nous, ils nous ont jetés dans un fossé recueillant les eaux usées, plus loin.
Pendant trois jours, on a pas pu bouger. Obligés de boire cette eau putride. Autant à manger qu'à boire là dedans. N'importe qui aurait péri d'avoir à ingérer quelques gouttes de ce liquide nauséabond.
Mais nous, faut pas oublier qu'on s'est développés dans la pire matrice qui soit, l'animal le plus infecté du monde, un vrai bouillon de culture, la Clémentine. Quand on sort vainqueur de pareille grossesse, on peut tout supporter... enfin presque.
On habite une cabane en planches, sur le port. La toiture est faite pour moitié de vieilles tôles rouillées, pour l'autre de bâches plastique trouées. Eau courante, douche/wc, chauffage... oubliez. Rien que nous là-dessous. On s'en contente. Vous me direz, pas trop le choix non plus.
On y est revenus, rampants, inquiets pour notre Ninie. Peur qu'elle soit morte de faim, ou tabassée par notre douce mère aimante.
Mais non, elle avait survécu. Elle avait repéré un jardin habité par trois chiens bien gras. Leurs gamelles étaient toujours bondées de croquettes et d'eau fraîche.
Elle nous a dit qu'elle préférait les jours où leur était servie de la pâtée, que c'était plus facile à manger.
Putain, les chiens sont mieux traités que nous. Ils ont des maîtres qui s'en occupent, ceux-là.
Et notre vieille pendant ce temps-là? Elle ne s'était aperçue de rien. On aurait aussi bien pu ne jamais revenir, pour elle, aucune différence.
Imaginez donc, on doit représenter quelques minutes de ses pensées quotidiennes, quand elle exhorte ses clients à faire gaffe de pas venir dedans, sinon elle devra se coltiner des chiards de plus, et la grossesse et l'allaitement abîmeront ce corps, désirable et désiré, fait pour l'amour.
Je sais pas si elle y croit vraiment... à force de voir les lubriques économes lui baver dessus, peut-être, au fond. Sacrée Julia Roberts.

Ce roman, relatant l'histoire de trois jeunes enfant livrés à eux mêmes et confrontés à un monde toujours prêt à les rejeter, comporte en version papier 650 pages.
La version numérique est en vente sur ce lien:
Ebook Sam

Pour l'édition papier, c'est ici que cela se passe:
Livre physique

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